Histoire de l'Alignement

   C’était un matin comme les autres, dans ce petit village perché au-dessus de la vallée. Le clocher sonnait huit heures, et déjà les premiers rayons du soleil s’étiraient sur les toits de tuiles rouges. L’air sentait le romarin, la lavande, et le café fraîchement moulu. Sur la place, les anciens discutaient sous le platane, leurs voix mélangées au chant des cigales. Mais, tout cela, c’était le décor. L’important, c’était ailleurs.

   Chez nous, dans le Sud, l’alignement, on ne l’apprend pas dans les livres. Il vient d’abord du ventre, puis il monte doucement au cœur, avant de fleurir dans l’âme. C’est quand on se sent à sa place, entre la terre et le ciel. Quand on se dit : « Ici, je suis bien. Je ne suis ni trop, ni pas assez. »

   Être aligné, c’est faire le métier qu’on a toujours rêvé de faire, celui qui vous fait lever le matin avec un sourire tranquille. C’est être entouré des gens qu’on a choisis, ceux qui remplissent votre vie de rires et de silences complices. C’est se consacrer à ce qui fait vibrer l’âme, sans avoir besoin de chercher une justification.

   C’est aussi plus subtil, comme une alchimie intérieure. C’est lorsque vos croyances s’accordent enfin avec vos valeurs profondes. Que ce que vous dites résonne avec ce que vous faites. C’est cette capacité à adapter votre comportement, à chaque instant, à ce que la vie met sur votre chemin, ni plus ni moins.

   Et surtout, c’est ce moment précieux où, après avoir agi, vous pouvez vous dire : « J’ai bien fait. » Et ce n’est pas qu’une idée, non… Vous le ressentez dans votre corps. Une sorte de chaleur douce, un apaisement qui vient vous rappeler que tout est à sa place.

   Mais ce qu’il y a de plus important, c’est de se rappeler que, dans chaque situation, j’ai toujours le choix d’être aligné. C’est toujours moi qui décide. L’alignement n’est pas un cadeau qu’on reçoit, c’est une posture qu’on choisit, un engagement envers soi-même. Pourtant, parfois, pour préserver la paix sociale, pour éviter un conflit ou simplement pour faire plaisir, je troque cet alignement. Oh, ce n’est jamais de gaieté de cœur, mais je le fais, en me disant que c’est temporaire, que je reviendrai à moi bientôt.

   Et comment savoir que je ne suis plus aligné ? Les signes sont là, bien visibles, si l’on prend le temps de les observer. D’abord, il y a cette sensation d’inconfort, comme une paire de souliers trop serrés. Rien ne va vraiment de travers, mais tout semble un peu de travers. Ensuite, il y a cette fatigue qui s’installe, non pas celle d’un corps qui a bien travaillé, mais celle d’un esprit qui lutte. On se sent irritable, impatient, comme si le monde entier était devenu un peu trop bruyant, un peu trop lourd.

   Puis, viennent les doutes. Les petites voix qui vous chuchotent : « Pourquoi fais-tu ça ? À quoi bon ? » Et dans le silence de ces questions, on se surprend à chercher des excuses, à justifier des choix qui, au fond, ne résonnent plus. Le corps, lui aussi, parle : les épaules se tendent, le souffle devient court, et le sommeil n’est plus aussi paisible qu’avant.

Le vieux Maître Jules, l’apiculteur, m’avait prévenu :  

" Petit, l’alignement, c’est comme garder le cap en mer. Mais tu sais, c’est aussi comme les abeilles. Regarde-les : elles ne perdent jamais leur temps à chercher les mauvaises fleurs. Elles savent instinctivement où se trouve le nectar, celui qui nourrit vraiment. Quand tu es aligné, tu es comme l’abeille : tu vas à l’essentiel, à ce qui est juste pour toi".

   Et depuis, chaque fois que je ressens ces signes de désalignement, je me demande : « Où est ma fleur ? » Et si je l’ai perdue de vue, je sais que je peux la retrouver. L’alignement, voyez-vous, ce n’est pas d’être parfait à chaque instant, mais d’écouter les murmures de l’âme, comme l’abeille écoute ceux des fleurs, et d’avoir le courage de revenir à ce qui est essentiel.